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Jacques Delors : "Même si l’Europe faisait des miracles, rien ne pourrait empêcher les peuples de payer les erreurs de leurs gouvernants".
Jacques Delors - Photo @Notre Europe |
Le Président-fondateur de "Notre Europe" Jacques Delors formule des analyses et recommandations sur la crise européenne.
Il prend position sur les racines de cette crise et sur les mesures prises pour y faire face. Il se prononce ensuite sur les relations franco-allemandes, la situation de la France, du Royaume-Uni et du Portugal. Il évoque enfin le rôle des institutions européennes durant la crise, et notamment de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne.
Une interview publiée par le journal portugais Público le 16 juin 2013 et réalisée par Teresa de Sousa -
Une interview publiée par le journal portugais Público le 16 juin 2013 et réalisée par Teresa de Sousa -
S’il était possible de revenir cinq ans
en arrière, aurions-nous pu prévoir
l’ampleur de la crise européenne ?
Il y a deux éléments dans cette crise. D’une part, une
crise financière mondiale. Nous vivions dans un climat
néolibéral, débordant d’optimisme, et nous pensions
que tout était possible avec l’argent-roi. Pourtant, cette
situation devait évidemment avoir une fin. D’autre part,
une mauvaise gouvernance de l’euro. Là aussi, la crise
était prévisible car nous n’avions pas les armes nécessaires pour résister à une telle tempête. Ces deux élé-
ments se sont conjugués, crise financière internationale
et mauvaise gouvernance de l’euro.
Cette crise n’est-elle que le résultat d’une
mauvaise gouvernance de l’euro ou, au
contraire, a-t-elle des causes plus profondes ?
N’est-elle pas aussi liée au rééquilibrage des
rapports de force au sein de l’Europe ?
Si je dis qu’il y a une crise de gouvernance de la zone
euro, c’est parce que depuis la création de la monnaie
unique, avec le fameux Pacte de stabilité et croissance,
nous avons accepté qu’à un moment donné, l’Allemagne
et la France ne respectent pas les critères. Et ensuite,
nous avons laissé faire alors que les pays s’endettaient
trop et que certaines banques faisaient des folies. À
aucun moment, l’Eurogroupe n’a levé le petit doigt pour
essayer de stopper cette spirale négative. C’est pour
cela que je dis que les gouvernements sont tout autant
responsables. Ils ont profité de la stabilité de l’euro et
de la faiblesse des taux d’intérêt pour faire des folies,
au niveau du budget des États ou des banques. Certains
pays subissent une crise profonde, essentiellement due
à leur surendettement, comme le Portugal ou la Grèce.
Mais cette situation est aussi la conséquence de la folie
des banques, comme on le voit en Irlande et en Espagne.
Le remède pour sortir de la crise, prescrit à
Berlin, ne produit pas de très bons résultats.
Les pays du Sud ont plongé dans une récession
sévère qui s’étend maintenant aux pays
du Nord. Le chômage est trop élevé.
J’ai déjà mentionné les raisons qui nous ont entraînés
dans cette situation difficile. En premier lieu, ce sont
les excès du libéralisme financier et des banques ; en
deuxième lieu, une gouvernance défaillante de la zone
euro et, en troisième lieu, des pays qui se sont endettés
au-delà du raisonnable. Je tiens à ajouter sur ce dernier
point que, même si l’Europe faisait des miracles, rien ne
pourrait empêcher les peuples de payer les erreurs de
leurs gouvernants. En outre, nous ne payons pas seulement la mauvaise gestion de l’euro, mais aussi un délai
de réaction trop long, dû notamment aux atermoiements
de la chancelière allemande. Elle a trop hésité entre 2010
et 2011. Ce n’est qu’à partir de 2011 et 2012 qu’elle a
pris conscience que l’incendie progressait et qu’il fallait
entrer dans une nouvelle phase qui permette aux pompiers d’agir. Pour contrôler l’incendie, mais rien de plus.
Il reste encore beaucoup à faire ?
Oui. Et puisque nous sommes au Portugal, un pays qui
souffre beaucoup, où le chômage des jeunes s’envole,
où des entreprises ferment, ce qui importe aujourd’hui
c’est que les efforts qui doivent être faits ici soient soutenus par un mouvement de stimulation de la croissance
venu de l’Europe. Je reprendrais la formule lapidaire de
notre ami malheureusement décédé Tommaso PadoaSchioppa [ancien ministre italien et président de Notre
Europe – Institut Jacques Delors de 2006 à 2010] : « Aux États la rigueur, à l’Europe la croissance ». Or à présent, il ne suffit pas d’envoyer un message d’espoir ; ce
qu’il faut faire, c’est mettre tous les moyens de l’Europe
au service de la stimulation des économies, et ce rapidement, sans perdre de temps en procédures administratives inutiles. Par exemple, il faut permettre une
utilisation plus rapide des fonds de cohésion. Un pacte
européen pour la croissance et l’emploi de 120 milliards
d’euros a déjà été adopté, il faut l’appliquer. Cela inclut
les prêts de la BEI, et j’espère par ailleurs que la mise
en œuvre du programme d’aide aux jeunes, dit « garantie européenne pour la jeunesse », sera rapide et déterminée. La situation est très dure, des parents sont obligés d’aider leurs enfants, la consommation est en berne.
Face à cela, il est nécessaire que l’Europe fasse un geste
fort et concret. Si l’Europe s’engage sur la voie de la
croissance, il sera plus facile de parvenir à un ajustement budgétaire plus supportable pour les peuples.
Lire d'autres extraits de cet entretien sur LYFtv-Europe
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